Nicolas Jutzet

Vivre et laisser vivre

Politique des transports : supprimer la 1ère classe ? Non, merci.

Politique des transports : supprimer la 1ère classe ? Non, merci.

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Il faut le dire : il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations, etc. Trop de gens se placent au dessus de l’humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s’occuper d’elle. Frédéric Bastiat (La Loi)

Quand nous prenons le train ou un autre transport en commun, nos attentes diffèrent. Certains souhaitent simplement se rendre rapidement au travail, d’autres travailler durant le trajet, ou encore seulement se rendre d’un point A à un point B pour satisfaire un besoin de consommation ou prendre part à une activité récréative.  Pour faire ce trajet, nous avons donc tous un “consentement à payer” différent, car la valeur du service n’est pas la même aux yeux de l’individu X et Y selon les besoins exprimés plus haut.

Dans un monde idéal, l’entreprise qui fournit le service pourrait facturer exactement le montant que représente la transaction pour chaque individu. On parlerait ici d’une sélection par les prix parfaite (à la tête du client, selon ses envies). Or, dans la réalité quelque peu plus complexe que la théorie, les entreprises mettent en place une offre en segmentant plus grossièrement les besoins de la population ciblée. Dans le cas présent, la première et la deuxième classe s’adressent à des publics distincts. En dehors du prix, les raisons et motivations de transport expliquent la demande forte pour cette offre séparée. Que ce soit pour le calme, la possibilité de travailler ou d’avoir plus d’espace, chaque raison est respectable. Vouloir imposer la même classe et donc le même service à tous équivaut à diminuer la satisfaction finale de l’ensemble des utilisateurs. Or, toute atteinte à l’optimum de Pareto (un état économique dans lequel il n’est plus possible d’améliorer la situation d’un individu sans dégrader celle d’un autre au moins) engendre par définition une altération du seul “bien commun” réellement existant. Malheureusement, c’est la politique voulue par certains acteurs. Une vieille marotte refait surface : supprimer la 1ère classe, accusée de tous les maux.

Les JUSO s’agitent 

Symptomatique, leur prise de position ne comporte aucun lien vers une étude sérieuse qui donnerait une quelconque base argumentaire solide à leur revendication. Elle contient uniquement des présuppositions vagues de certains porte-paroles. Trahissant une maladroite volonté d’alimenter le “sommerloch” médiatique, la démarche tourne heureusement très rapidement à la débandade. Interrogé sur les ondes de la 1ère, durant un débat de l’émission forum, animé par Chrystel Domenjoz, face au conseiller national PLR Hugues Hiltpold, Bertil Munk, vice-président de la Jeunesse socialiste suisse s’emmêle généreusement les pinceaux. Il admet qu’une seule enquête (et non une étude, contrairement à ce qu’il avance), celle de Bon à savoir donne des chiffres sur le thème. Le débat en trois citations:

  1. à partir de 1:20B.M. : En deuxième classe il n’y a plus assez de place pour les personnes qui veulent s’assoir.

Problème, même l’enquête en question dit le contraire:

“Mais un point positif ressort aussi de notre enquête: dans chacun des six trains observés, il restait suffisamment de places pour que chaque passager trouve un siège.”

“Le plus souvent, il suffit donc de rejoindre une extrémité du train pour trouver des places assises.”

Bon à savoir, la source unique des JUSO vient donc contredire leur thèse.

  1. à partir de 4:35B.M. : Est-ce qu’on peut imaginer au 21ème siècle des hôpitaux publics où les riches peuvent passer en premier et les autres vont ailleurs ?
    • Chrystel Domenjoz : Ceux qui paient plus peuvent être en chambre individuelle et ceux qui paient moins sont en chambre commune, donc ça existe aussi.
    • B.M. : Voila, mais c’est une pensée qui reste ultra archaïque (sic)
  2. à partir de 5:00Chrystel Domenjoz pose la question de l’applicabilité
    • B.M : Cette action, cette chose (sic) que nous voulons, on ne se base pas directement sur des modalités précises
    • Hugues Hiltpold : Vous devriez.

Au final, la proposition populiste, transpire la jalousie et une haine, non documentée, de son prochain sur des critères arbitraires. Dans son livre “Philosophie de l’impôt” Philippe Nemo revient sur la véritable motivation de ce genre de logiciel politique, qui transparait par exemple dans les motivations de l’impôt progressif : “l’envie, une passion collective soudant ses adeptes contre un bouc émissaire, la classe des riches. Cette passion, prenant sa source dans le cœur et non dans le cerveau, est difficile à combattre“.

Pourtant, des solutions existent d’ores et déjà pour faire face à une fréquentation fournie d’usagers. Les CFF rappellent “qu’en cas de pics d’affluence, ils ont la possibilité d’installer des passagers munis d’un billet de 2ème classe en 1ère. Par ailleurs, de nombreux outils sont mis à disposition des utilisateurs pour qu’ils puissent adapter leur trajet en fonction des prévisions d’occupation des trains.  Et finalement, des rames supplémentaires sont mobilisées pendant les heures de pointes, dans le but de maitriser au mieux les affluences importantes. Par ailleurs, le nouveau matériel roulant doit améliorer cette prise en charge. En résumé, en cas de problème ponctuel, des outils permettent de juguler temporairement le flux.

Péjorer l’attractivité du train en supprimant la 1ère classe : fausse bonne idée 

Le sujet n’est en réalité pas vraiment nouveau. Il a déjà été débattu sous diverses formes. En 2016, le conseiller national UDC de Saint-Gall Lukas Reimann a déposé une motion dans laquelle il souhaitait que “les fonctionnaires, les cadres des CFF et les politiciens n’obtiennent «plus que» des AG de 2ème classe“. Refusée, notamment par le groupe socialiste, cette proposition a le grand mérite d’avoir obligé les différents acteurs à se prononcer sur la thématique. Dans son développement, le Conseil fédéral justifie le choix de la 1ère classe de la façon suivante : “Les employés de la Confédération peuvent effectuer leurs voyages de service en première classe. Cela leur permet de travailler durant le voyage, ce qui ne serait pas possible en deuxième classe du fait de l’occupation et du bruit plus importants“. Pour Kurt Schreiber, qui était président de l’association Pro Bahn au moment des faits “certains parlementaires ou fonctionnaires finiraient peut-être par prendre la voiture au lieu de voyager en train. Et ce n’est pas le but“. Suite au refus de la première proposition, l’écologiste Irène Kälin est revenue à la charge. Pour essuyer la même fin de non recevoir. La raison ? “Il y a lieu d’encourager le travail mobile, de sorte que tous les députés profitant de leurs déplacements en train pour travailler puissent, dans la mesure du possible, continuer de le faire dans le calme et avec concentration“. Edith Graf-Litscher, élue PS à Berne développe l’argumentaire en rappelant que “Le fait que les membres du conseil reçoivent un AG de première classe n’est ni un luxe ni un privilège, mais s’explique par le fait que la plupart d’entre nous utilisons également ce temps pour travailler“. Visiblement, même le parti socialiste semble être convaincu de la pertinence de l’existence de la 1ère classe.

Différence entre la 1ère et la 2ème classe 

Dans une interpellation déposée au parlement, le désormais ex-conseiller national Ruedi Aeschbacher (PDC) demandait pourquoi les “CFF veulent supprimer les espaces silence, sous prétexte qu’il est difficile de faire respecter le silence dans les voitures de deuxième classe?“. La réponse du Conseil fédéral vient confirmer la demande différente des utilisateurs qui utilisent cette classe : “Les raisons principales de supprimer les espaces silence en deuxième classe résident dans les nombreuses réactions négatives des clients ainsi que dans les problèmes d’attribution pour les réservations de groupes (les espaces silence en deuxième classe restreignent tellement les capacités en places assises que les groupes doivent être répartis sur d’autres trains, voire refusés). Par ailleurs, les études de marché commandées par les CFF ont montré que les espaces silence sont beaucoup moins demandés en deuxième classe qu’en première, où cette offre est exigée par les clients. Les CFF relèvent encore que les espaces silence ne répondent guère à un besoin aux heures creuses et durant les week-ends“. Bien évidemment, tout individu a des besoins illimités ou du moins diversifiés, qui font qu’il est impossible de répondre parfaitement aux désirs de chacun, des frustrations existeront toujours. Mais la solution actuelle semble maximiser les demandes des divers publics. Au vu des faits évoqués ci-avant, il est toutefois clairement établi que la suppression d’une classe viendrait simplement réduire massivement l’expérience satisfaisante de certains sans améliorer avec certitude celle des autres. Au final, contrairement à la route, le train arrive et part à la même heure pour les deux classes, on ajuste simplement le confort du trajet. De plus, n’oublions pas que les CFF sont sous perfusion massive d’argent public, et que selon les chiffres d’Avenir Suisse “le degré de couverture des coûts du rail se chiffre à 41 % seulement“. Le reste est payé par le contribuable. La redistribution a déjà largement lieu.

Supprimer la 1ère classe, une mesure anti-sociale

Les réactions des experts du secteurs viennent évidemment mettre à mal la proposition. Pour le porte-parole de l’Association des transports de Zurich (ZVV) Thomas Kellenberger “Nous avons des pendulaires qui ne prendraient plus les transports publics s’il n’y avait pas de première classe. Nous perdrions donc des clients si on la supprimait“. Plus grave encore, la proposition risque au final de se retourner contre ceux qu’elle prétend défendre : “la ZVV est une entreprise cantonale subventionnée par l’argent des contribuables. Les pendulaires qui voyagent en 1ère contribuent à réduire le déficit. Tout le système serait même en danger si la première classe était supprimée“. Selon Marco Salvi, directeur de recherche chez Avenir Suisse et professeur d’économie à l’EPFZ cette mesure fait fausse route: “S’il n’y avait qu’un seul prix, les recettes diminueraient. Actuellement les CFF peuvent appliquer deux prix, les passagers de première classe subventionnent ainsi ceux de deuxième classe. Si les classes étaient abolies, le service se rapprocherait de la 1ère classe et le prix augmenterait. Les passagers de deuxième classe seraient les perdants“. L’évidence ne choque pas les auteurs de la proposition, Clément Borgeaud, vice-secrétaire central de la JSS “Ce que nous voulons, c’est que les CFF fonctionnent comme un service public, à l’instar de La Poste où le prix du timbre est le même pour tous“. Manifestement, l’argumentaire n’a pas été travaillé du tout. La Poste, à l’instar des CFF pratique une politique de sélection par le prix, avec une offre A prioritaire et une offre B. N’est-ce pas justement le modèle décrié dans le secteur ferroviaire ? Ici encore, la Poste répond à des besoins différents, qui sont légitimes.

Faciliter la vie aux usagers et améliorer la transparence du financement

D’autres pistes, efficaces, existent. En mars 2018, les CFF annonçaient par exemple que les billets dégriffés, en particulier aux heures creuses, seront vendus à un prix réduit jusqu’à 70%, au lieu de 50% auparavant. On pourrait également imaginer que les billets soient moins chers s’ils sont réservés tôt à l’avance.

D’autres pistes, plus ambitieuses et globales, tel le “mobility pricing” sont à l’étude. Pour rappel : “Par tarification de la mobilité, on entend des tarifs liés à la prestation pour des produits et des services en lieu et place d’impôts indirects, de redevances et de tarifs uniques. Quiconque consomme des prestations de mobilité doit être incité à se soucier des coûts“. Etudié par Avenir Suisse dans une étude dès 2013, il est désormais en main politique:Le Conseil fédéral a chargé le DETEC, en collaboration avec les cantons et les communes intéressés, de réfléchir à la mise en place de projets pilotes“.

Selon Avenir Suisse “ce principe économique permettrait de redimensionner la demande de mobilité, d’améliorer l’utilisation des capacités, de limiter les embouteillages, de réduire les énormes coûts du système des transports et garantir davantage de fair-play dans la consommation de mobilité. Car qui consomme doit payer“.

On pourrait par ailleurs relever que les partis de gauche s’opposent régulièrement aux nouvelles formes de mobilités qui permettent de se déplacer à un coût moindre. Uber et autres “bus longue distance” peuvent en témoigner, alors même que le Conseil fédéral juge que ces offres sont des compléments des services en place.

2 Comments

  1. On a déjà échangé sur ce sujet.
    Je passe outre le débat sur la volonté propre de l’individu ayant un besoin de consommer de manière différente son transport.
    Je note 2 points pour faire rapide : nombreuse de ton argumentation (2e partie) repose sur des citations d’individus avec des postes vu comme respectable, cependant j’en retiens que ton argumentation ne repose sur aucun chiffre. Les CFF sont terriblement opaques sur le sujet. On a des personnes avec des postes reconnia dans notre institution politique et économique actuelle qui nous donnent leurs conclusions. Ces mêmes conclusions ont été développées (j’espère) avec des chiffres qui nous sont inconnus et dans les rapports sociaux qu’établissent ces experts avec la société (donc ils ont du être fortement influencés sans en être conscient).

    Le 2e point est sur la phrase de fin concernant Uber, qui serait un nouveau mode de déplacement. J’en doute, le co-voiturage date de la charrette. La forme nouvelle est le rapport social entre le covoituré et le covoitureur qui est issus de rapport de production (producteur d’un service et consommateur de ce même service) et non de rapport social de simple mobilité.

    Voilà , pour faire court ^^

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